dimanche 30 décembre 2018

La résine dammar #2

La résine dammar #2 : Histoire des résines


Faisant suite à mon article précédent, La résine dammar #1, voici le deuxième volet de cette série d'articles consacrée à ce constituant incontournable de la peinture à l'encaustique. Voilà plus d'une année écoulée depuis la publication de la première partie, il est grand temps de vous livrer la suite de mes recherches pour finir l'année 2018 en beauté sur ce blog !




On ne peut pas parler de l’histoire de la résine dammar sans parler de l’histoire des résines en général. La présence des résines associées à la cire est inextricablement liée à l’histoire de la peinture elle-même.

Depuis l’Egypte romaine d’où sont issus les portraits du Fayoum l’encaustique utilisée se composait déjà d’un mélange de cire d’abeille, de pigments d’origine naturelle et de résines.
Bien avant, dans lEgypte antique, les résines étaient employées également dans des préparations que nous qualifieront aujourd’hui de pharmaceutiques associées à des rituels religieux. Certains textes font état d’utilisation de résines parfumées comme lencens ou de gomme préparée avec de la résine daccacia. Dans lAntiquité la frontière est parfois mince entre les différentes disciplines que ce soit dans le domaine médical ou dans un contexte magico-religieux . Le médecin-prêtre se référait à des textes médicaux où la récitation de formules rituelles était associée à la préparation de substances dans un but thérapeutique et religieux. (pour plus dinformations consulter cet article)

Au 18ème siècle, en 1755, dans son Mémoire sur la peinture à l’encaustique et sur la peinture à la cire, le comte M. de Caylus (1692-1765) présente une série d’expériences dont une est consacrée à l’utilisation de résines dont la colophane qui est une résine de pin. Il constate alors que cela rend la cire plus cassante. Il emploie également d’autres résines comme la gomme copal, le mastic ou l’ambre sous forme de vernis. Il détaille tout un ensemble de procédés et de matériaux utilisés pour ses expériences dont les bois de cèdre, de chêne ou encore le sapin et le poirier. Ce mémoire détaille avantageusement tout un ensemble d’expériences liées à l’utilisation de la cire dans la peinture et ne présente qu’un intérêt sur le plan historique car les méthodes présentées sont fort éloignées de celles que nous connaissons aujourd’hui (il détaille par exemple une méthode de peinture à l’eau sur la cire…). Outre le plaisir de lire une œuvre en vieux français, la lecture de louvrage nous permet dassister au processus expérimental développé par le comte M. de Caylus assisté de M. Majault. Pour  la réalisation de cet imposant travail il s’est inspiré des travaux du célèbre anatomiste et céroplaste Gaetano Giulio Zumbo (1656 ?-1701)(voir La tête anatomique à la fin de mon article sur les cires) et constate que « si Zumbo avoit été plus communicatif, il y a cinquante ans que la peinture à la cire seroit connue de toute l’Europe ».

Au 19ème siècle, en 1829, Jacques Nicolas Paillot De Montabert (1771-1849) publie un imposant Traité complet de la peinture en neuf volumes. Au sein de ce vaste travail encyclopédique on trouve le volume 8 dont le chapitre 568 contient 150 pages consacrées à la peinture encaustique. Dans ce chapitre le terme pharmaca déjà présent chez Caylus et dans les textes des auteurs grecs désigne les résines, ou bitumes ainsi que le mélange cire-résine. Il souligne l’importance d’ajouter de la résine pour augmenter les qualités optiques de la peinture à la cire. De son côté il expérimente différentes résines dont la sandaraque, le mastic, l’encens blanc (ou oliban) ou la résine-animé. Il présente également le copal et la résine élémi. Voilà ce que jai pu  extraire de ce chapitre à propos des résines. Il y a bien sûr de nombreux autres éléments à exploiter.

Note à propos du terme « encaustique » :

Paillot de Montabert précise au début de son ouvrage d’où vient le mot « encaustique » :
Tout d’abord le mot « caustique » est associé au cautérium, outil utilisé par les anciens pour « fixer les matières de la peinture » (voir les photos dans mon article Notes sur l'histoire et la technique de l'encaustique) qui induit une action de chauffer.
Enfin le terme « encaustique » utilisé pour appliquer sur les meubles et les parquets pour protéger le bois, qui existait déjà au temps de Montabert et que nous connaissons encore aujourdhui, est un terme impropre. Montabert précise : « Or, comme l’action du feu n’entre pour rien dans l’opération relative à l’emploi de ces matières (il parle de la cire et de ses adjuvants utilisés pour appliquer sur les parquets), le mot encaustique ne lui convient pas du tout » (p. 527)
De nos jours le terme encaustique des ébénistes ne fait pas référence à de la cire d’abeille fondue par la chaleur mais à de la cire dissoute dans l’essence de térébenthine. Tout comme le terme « plombage », appellation vulgaire de l’amalgame dentaire qui ne contient pas un seul gramme de plomb…
Ces termes sont donc encore utilisés dans le langage commun mais ne correspondent pas à la réalité de leur pratique par les professionnels.
Pour Paillot de Montabert on peut ainsi appeler encaustique une « peinture chauffée ou fixée à l’aide du feu après les applications successives des couleurs ».


Enfin à la fin du 19ème, en 1884, Henry CROS et Charles HENRY dans leur ouvrage L’encaustique et les autres procédés de peinture chez les anciens basent leurs recherches sur l’étude de textes grecs et latins dont l’Histoire Naturelle de Pline.  Ils observent ainsi « qu’on ne se servait pas seulement de cire pour porter les couleurs. Le mot cera a dû signifier bien souvent un mélange où la cire jouait seulement un rôle prépondérant. ». Il ressort de l’étude de ces textes que les peintres grecs peignant à l’encaustique utilisaient un mélange fait de cire et de résines, appelées aussi goudrons ou bitume, pour travailler leurs couleurs. Les auteurs parlent de « bâtons de cires-résines colorées ».
Ce mélange de cires et de résines appelé zopissa ou apochyme selon Dioscoride était présent sur la proue des vaisseaux. Ce mélange était dissous par le sel marin, ce que constate Pline lui-même. Pline constate également la dissolution des résines dans l’huile.

Bien sûr dans ces différents ouvrages la composition en cire, résines et autres composants ainsi que la définition de peinture à l’encaustique est soumise à de nombreuses variations suivant les auteurs.


Au cours du 19ème siècle avec l’apparition de la peinture à l’huile en tube, utilisée par Van Gogh puis les peintres impressionnistes, les fabricants auront recours à divers additifs comme les cires (cire d’abeille, de Myrte ou de paraffine), les résines (résine de copal entre autres) associés parfois avec de l’œuf, de l’amidon ou de la silice. Ces différents médiums permettaient de compenser la fluidité de l’huile en donnant une consistance plus ferme à la peinture. Ces différences de compositions d’une peinture à l’autre ont eu bien sûr des répercutions sur la conservation des œuvres de ces artistes dans le temps.
Les résines sont aussi largement utilisées dans la composition des vernis destinés à protéger les peintures à l’huile. Elle sont alors diluées dans l’essence de térébenthine.  

Ainsi les différentes résines utilisées dans l’histoire de l’encaustique et que l’on va retrouver comme adjuvants dans la composition de la peinture à l’huile, mais aussi dans la composition des vernis suivant les époques, sont principalement: l’élémi, le mastic, le copal ou la colophane qui est une résine de pin et enfin, sujet de ma série darticles, la résine dammar. Cette dernière est importée et présente dans la peinture en Europe et aux Etats-Unis depuis le 19ème siècle.

Ainsi s'achève cette deuxième partie consacrée à la résine dammar et plus précisément à l'histoire des résines dans la peinture. La troisième et dernière partie concernant la mise en oeuvre de la résine dammar dans la peinture encaustique verra le jour en 2019 !


Merci pour votre lecture et meilleurs voeux à tous pour 2019
 !




Bibliographie

Comte de CAYLUS : Mémoire sur la peinture à l’encaustique et sur la peinture à la cire, Paris, 1755 

CROS Henry, HENRY Charles : L’encaustique et les autres procédés de peinture chez les anciens, histoire et technique, Paris, 1884 

PAILLOT de MONTABERT Jacques-Nicolas : De la peinture encaustique dans Traité complet de la peinture, Paris, 1829

SALVANT, Johanna : Caractérisation des propriétés physico-chimiques des matériaux de peinture employés par Van Gogh : les peinture blanches, Thèse de doctorat en Chimie, Université Pierre et Marie Curie, Paris, 2012 (archives ouvertes)


dimanche 2 décembre 2018

Di Rosa dans le grand bain



Lorsque j'ai découvert Di Rosa, c'était en 2015 au musée Paul Valéry de Sète, la ville natale de l'artiste, à l'occasion d'une exposition consacrée à la Figuration Libre. Ses potes Robert (Combas) et Jean Michel (Basquiat), entre autres, étaient également présents.

Ici à Roubaix pour cette Oeuvre au Monde, l'artiste nous fait découvrir son tour du monde, l'ensemble des villes, des pays où il a voyagé et réalisé ses oeuvres. Ce n'est pas du tourisme, une consommation des cultures ou des lieux. C'est une présence avec une vision unique, celle de l'oeil de l'artiste.
Une oeuvre mouvementée, multiformes, colorée, un brin subversive, une bande dessinée façon azulejos.





L'anatomie humaine est également présente comme dans l'oeuvre du prince New-Yorkais, le Griot de la peinture nous dirait Ernest Pépin.



En cette période presque hivernale, où les jours raccourcissent alors que les heures d'ouverture des magasins s'allongent, si vos yeux ne sont pas encore complètement anesthésiés par la cacophonie visuelle de fin d'année, courrez vous réchauffer les mirettes pour voir ou découvrir Hervé Di Rosa  et prendre un bain de chefs-d'oeuvres à  La Piscine, musée d'Art et d'industrie André Diligent.

Le bâtiment vient d'être rénové et agrandi. Le hall central du musée avec le bassin conservé de l'ancienne piscine entouré de sculptures vaut à lui seul le détour.



Les anciennes cabines ont même été conservées

Une partie du musée est consacrée au textile en rapport avec le passé industriel de la ville. Roubaix, tout comme Mulhouse, sont des villes marquées dans leur passé par la présence de filatures.


Ici une tunique Copte du 7ème siècle. Mais qui sont les Coptes ? voir mon article Les portraits du Fayoum : peindre et être libre

Et en sortant vous n'oublierez pas de marquer votre passage en collant aux portes du parc du musée votre petite pastille de couleur indiquant le jour de votre visite.


Une autre oeuvre monumentale de Di Rosa est visible à l'entrée de la gare Saint Sauveur à Lille, St So' pour les lillois près du parc aux "grilles rouges". Une fresque-mosaïque géante avec René, le personnage emblématique de l'artiste.




Car enfin se déplacer pour voir une expo dans un musée, quitter le confort de son quotidien, et découvrir le monde à travers les yeux d'un artiste, affiner et questionner son propre regard, sera toujours mieux que d'être les yeux sur un écran où le flot continue d'images aura tôt fait d'endormir notre conscience et notre liberté d'être humain.

Bonne fin d'année à tous !