vendredi 1 mai 2020

La résine dammar #3

La résine dammar #3 : propriétés et mise en oeuvre .
Ce blog a déjà 5 ans !

 Cire d’abeille, résine dammar et pigment bleu outremer à l’atelier

Ce blog fête aujourd'hui ses 5 années d'existence dans des conditions tout à fait particulières : alors que nous devons rester chez nous depuis plusieurs semaines pour combattre le coronavirus, voici  le troisième et dernier volet d’une série d’articles commencée en 2017 et consacrés à la résine dammar.
Ce sera l'occasion de vous plonger dans les différents articles de ce blog pour découvrir l'encaustique ou compléter vos connaissances sur ce médium !

Le premier volet La résine dammar #1 introduisait la résine dammar en explorant ses aspects généraux (terminologie et origine géographique). Puis en 2018 le second article La résine dammar #2 développait de façon plus vaste l’histoire des résines dans la peinture tout en précisant de quelle manière se faisait l’apport de telles résines à propos du sujet qui nous préoccupe ici : l'encaustique. Cet article se basait sur les travaux historiques du comte de Caylus, de Paillot De Montabert et de Henry CROS et Charles HENRY.
Le troisième et dernier article (déjà promis pour 2019) voit ici enfin le jour ! Je n’ai guère de goût pour la précipitation mais il faut bien que chaque chose arrive à son terme à un moment ou à un autre !


Propriétés mécaniques et physiques

Les propriétés mécaniques et physiques de la résine dammar vont lui permettre d’entrer dans la composition de la peinture à l’encaustique pour deux raisons : d’une part cette résine associée à la cire va durcir l’état de surface de la peinture et d’autre part ses propriétés optiques vont donner de la brillance aux couleurs. Ces propriétés étaient déjà connues aux 18ème et 19ème siècles du temps de Caylus ou de Paillot De Montabert dont j’ai pu détailler les expériences dans mon précédent article.
Dans son livre de 2001, The Art of Encaustic Painting, Joanne Mattera précise que plus on ajoute de résine dammar au mélange cire-résine plus la surface sera dure (p.95)


Mise en œuvre 

Au départ la résine dammar se présente sous forme de blocs de différents diamètres qu’il est préférable de casser pour faciliter l’incorporation à la cire en train de fondre. Joanne Mattera conseille de placer les blocs de résine dans un sac en plastique puis de casser les blocs avec un marteau pour réduire la résine en petits morceaux puis en fines particules.


Placer les blocs de résine dans un sac plastique...

...puis les réduire en morceaux avec un marteau.


Ensuite faîtes fondre la cire puis incorporez progressivement les particules de résine dammar. Concernant les proportions de la résine dammar par rapport à la cire celles ci sont habituellement de l’ordre de 1/8 : une portion de résine dammar pour huit de cire. Ces proportions peuvent bien sûr varier. Joanne Mattera indique qu’on peut augmenter les proportions dans une limite de ¼, une mesure de dammar pour quatre de cire. Plus on ajoute de la résine et plus le médium cire-résine obtenu sera cassant.
Dans son livre Peindre à l’encaustique paru en 2016 Sophie Van Moffaert conseille également une proportion de 1/8 pouvant aller jusqu'à 1/5. A vous de tester !

La cire et la résine dammar n’ont pas la même température de fusion : 65°C/150°F pour la cire et 107°C/225°F pour la résine dammar.  Plus les particules de résine seront fines plus elle vont fondre facilement dans la cire. Il faudra contrôler au départ la température du mélange pour que la résine fonde : supérieure à 107°C au départ puis on pourra baisser la température du mélange ensuite vers 74-104 °C.
Voici ce que cela donne lorsque la résine n’est pas assez fondue : elle forme une masse collante au fond de la casserole. Il faut donc dans ce cas augmenter légèrement la température du mélange.

La température de fusion n'est pas suffisante : la résine dammar forme
une masse collante au fond de la casserole.


Lorsqu’on débute dans la préparation de son encaustique il faut vérifier la température avec un thermomètre de cuisine adapté. L’erreur consiste à trop chauffer son mélange : il en résulte des fumées toxiques qui se dégagent et peuvent occasionner des maux de tête dans un local mal ventilé. Il est important de travailler dans un atelier bien ventilé (fenêtre ouverte ou au mieux une hotte aspirante) et de s'hydrater régulièrement.

Précision importante :
Attention à ne pas confondre vernis dammar et résine, ou gomme, dammar. Le vernis dammar est une dissolution de résine dammar dans de l’essence de térébenthine : c’est donc un produit inflammable et qui dégage des vapeurs toxiques lorsqu’il est chauffé. Donc à ne surtout pas utiliser avec l’encaustique ou nous travaillons avec une source de chaleur !
Attention également aux risques de brûlure de la peau lorsque vous réalisez votre mélange résine-cire ou même lorsque vous peignez à l’encaustique.

Puis lorsque la résine et la cire sont bien incorporées on verse le mélange dans un récipient adapté. Pour ma part j’utilise des barquettes en aluminium. La résine dammar présente généralement des résidus plus sombres qui se déposent au fond de la casserole. Lorsqu’on verse lentement le mélange dans les barquettes en aluminium les résidus restent au fond de la casserole et on peut les éliminer facilement ensuite avec un chiffon.


résidus de résine dammar au fond de la casserole 

On peut laisser refroidir le mélange que l’on utilisera ensuite dans la fabrication de sa peinture à l’encaustique en y ajoutant les pigments ou profiter du mélange encore chaud pour fabriquer tout de suite la couleur voulue.

Couleurs en préparation à l'atelier



Tentative de conclusion concernant ces trois articles..... 


La résine dammar utilisée aujourd’hui dans la peinture à l’encaustique résulte d’un héritage lié à l’utilisation ancestrale des résines, depuis les pratiques médicales et rituelles de l’Egypte antique puis l’encaustique des grecs et des portraits du Fayoum en passant par l’histoire de la peinture et la composition des peintures à l’huile et des vernis. La formule que nous connaissons cire-résine dammar-pigments n’est pas une simple recette, elle est la résultante d’une longue série d’expériences et d’histoires humaines tout au long de l’Histoire de l’Art. 
Bien sûr même si comme Joanne Mattera le rappelle dans son livre « encaustic paint is no more difficult to make than hot cocoa » (p.102) il faut souligner que les choses les plus simples sont la résultante d’un long apprentissage et d’une longue histoire liées à un nombre indéfinissable d’expériences humaines ou comme le disait Thomas Edison : « En essayant continuellement, on finit toujours par réussir. Donc plus on échoue, plus on est proche de la réussite ».
Ainsi cette « simple » recette d’élaboration de l’encaustique est attachée à une longue histoire depuis l’Egypte romaine jusqu’à aujourd’hui et ceci est important à prendre en compte lorsque l’on aborde la pratique de l’encaustique actuellement. Malgré tous les moyens modernes dont nous disposons aujourd’hui, la formule de l’encaustique cire d’abeille-résine dammar-pigments est très proche de celle utilisé par les peintres des portraits du Fayoum mais elle s’est affinée au cours du temps en gagnant aujourd’hui une plus grande précision dans la composition de la formule. Cette même formule utilisée par des artistes comme Victor Brauner après guerre ou Jasper Johns encore aujourd'hui. Chaque artiste débutant l’encaustique reproduit ainsi dans son atelier les différentes approches ancestrales tout en se nourrissant des multiples sources d’informations à sa disposition grâce à Internet et aux quelques ouvrages présents sur le marché à l’heure actuelle (voir références en fin d’article).

J’espère pouvoir contribuer avec ce blog à une connaissance plus juste de l’encaustique car ce médium est encore largement méconnu. Je n’ai pas de « how to » à donner, il s’agit juste de relater et de partager une expérience personnelle qui, bien que débutante, me semble compléter ce que je trouve ou ce que je lis à l’heure actuelle sur l’encaustique. 

Cet article vient clore un ensemble technique et historique concernant la peinture à l’encaustique et développé sur ce blog depuis sa création en 2015. De nombreux points méritent une étude plus approfondie mais je laisse cet ensemble en l’état (pour l’instant…).
J’espère que tout ceci vous aura apporté des connaissances complémentaires à votre pratique de l’encaustique sans oublier de passer à l’essentiel : peindre !
N’hésitez pas à me contacter pour me faire part de vos expériences.

Portez vous bien, protégez vous,
Merci de votre visite,




Monotype, encaustique, 2020


Références utilisées pour la rédaction de cet article

Comte de CAYLUS : Mémoire sur la peinture à l’encaustique et sur la peinture à la cire, Paris, 1755

CROS Henry, HENRY Charles : L’encaustique et les autres procédés de peinture chez les anciens, histoire et technique, Paris, 1884

MATTERA Joanne: The Art of Encaustic Painting : Contemporary Expression in the Ancient Medium of Pigmented Wax, Watson-Guptill Ed., New-York, 2001.

PAILLOT de MONTABERT : De la peinture encaustique dans Traité complet de la peinture, Paris, 1829-1851

VAN MOFFAERT Sophie : Peindre à l’encaustique, Editions Eyrolles, 2016


lundi 13 janvier 2020

Philippe Cognée, Carne dei Fiori à la galerie Templon

détail d'une oeuvre

Ce samedi 11 janvier avait lieu le vernissage de la dernière exposition de Philippe Cognée à la galerie Daniel Templon à Paris. En voici quelques extraits à travers mon modeste appareil photo.


C’est dans la toute nouvelle galerie TEMPLON, rue du Grenier Saint-Lazare à Paris inaugurée en 2018 que Philippe COGNEE nous présente sa dernière série Carne dei Fiori. Ce titre en italien nous rappelle aux origines de la peinture européenne de Cimabue à Giotto mais aussi que l’artiste fût Lauréat de la Villa Médicis à Rome en 1990.

Après sa dernière série Crowds en 2017 Philippe Cognée change ici radicalement de sujet pour nous offrir une peinture où chair, nature vivante et nature morte se retrouvent.



D’emblée en entrant dans cette galerie aux grandes baies vitrée ouvertes sur le monde puis à droite dans l’espace d’exposition notre regard est happé par une œuvre monumentale où les tons rouge et noir dominent.





L’artiste est là et discute avec chaque personne désireuse de le voir. J’ai alors pu le rencontrer à cette occasion et lui parler brièvement de mon travail et de ce blog. J’ai découvert un homme souriant et abordable désireux de nous faire pénétrer dans un univers où la peinture est sa préoccupation majeure.

Car le véritable sujet est la peinture même et Philippe Cognée à travers cette nouvelle série où l’artiste aime à rendre compte du désordre ou d’un aspect chaotique des choses nous propose une peinture où la question de notre propre finitude est omniprésente (à lire le très nourrissant La fierté des fleurs de Djamel Meskache, en conversation avec Philippe Cognée et servant de support à cette exposition). Plus que tout l’artiste répond à une urgence créatrice et s’engage une fois de plus avec cette série, et chaque fois avec plus de force, dans la réalité d’un être vivant au cœur de ce monde.

De Carne à Carcasses, sa série de 2003, il n'y a qu'un pas. De la viande d'abattoir aux fleurs Philippe Cognée poursuit sa quête. Ici la fleur et la chair se rejoignent.

détail d'une oeuvre

Alors que ses premières séries du début des années 90 représentaient des objets du quotidien (frigo, machine à laver) ou comme  Jasper Johns déclare en 1959 qu’il désire que le spectateur regarde ses tableaux « comme s’il regardait un radiateur », Philippe Cognée bascule ici de la banalité à la beauté du réel sublimée par sa peinture.


A la vue de ces beautés fanées, flétries sur fond noir la peinture de Philippe Cognée devient obsédante et on a envie de s’y fondre comme la cire de sa peinture elle-même.
Pour monumentale et déroutante qu’elle soit cette série nous plonge dans un univers où l’être humain fait de chair et de sang doit affronter ses angoisses les plus profondes dans un monde en perpétuel mouvement. Pivoines, Tournesols et Amaryllis en memento mori.

Ces Fleurs de chair, inquiétantes Vanités, nous rappellent un monde en déliquescence où la cire vient fondre nos ultimes tentations, nos dernières obsessions où le sexe, la vie et la mort se rejoignent.
C’est en affrontant la fin que l’artiste, par son œuvre, nous procure un sentiment d’éternité.

détail d'une oeuvre


L’exposition est visible jusqu’au 7 mars 2020.

Merci de votre visite sur ce blog,

Bon début d'année 2020 à tous,


A lire :

Djamel MESKACHE, La Fierté des Fleurs, sur les peintures de Philippe COGNEE, Editions Tarabuste, 2019.