samedi 7 janvier 2017

Victor Brauner, des Carpates à Montmartre

Même si Jasper Johns fait entrer à pas de géant l'encaustique dans l'Art du 20ème siècle, c'est un peintre surréaliste français, Victor Brauner, qui utilise avant lui la cire dans son oeuvre et ce dès 1943. 
Victor Brauner fait partie des précurseurs de l’encaustique en France et nous allons voir comment il a été amené, ou plutôt forcé, à utiliser la cire comme moyen d’expression.
Du hasard ou de la nécessité naissent souvent les pratiques les plus novatrices.


Aller-retours entre Bucarest et Paris

Victor Brauner est né le 15 juin 1903 à Piatra Neamt, une ville du nord-est de la Roumanie dans la région des Carpates. Sa famille, d’origine juive et dont le père travaille dans la fabrication de bois, habite quelques temps à Hambourg en Allemagne en 1913 puis à Vienne en Autriche pour se fixer à Bucarest en 1918. Victor Brauner est alors inscrit à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Bucarest de 1919 à 1921.
Attiré par les mouvements Dadaïste et Surréaliste il effectue un premier voyage à Paris en 1925 pour revenir en Roumanie en 1927. Ce n’est qu’en 1930, lors d’un second séjour dans la capitale française qu’il rencontre Constantin Brancusi, autre réfugié Roumain, ainsi qu’Yves Tanguy qui lui fera connaître l’ensemble du groupe des Surréalistes avec André Breton comme chef de file.


En 1931 il peint un autoportrait, signifiant de manière étrangement prémonitoire la perte d’un œil  quelques années plus tard.  Il perdra l’œil gauche en 1938, recevant des éclats de verre au visage lors d’une altercation entre les artistes Oscar Dominguez et Esteban Francés.

Victor BraunerAutoportrait, 1931, huile sur bois


C’est en 1934 qu’il expose pour la première fois à Paris à la Galerie Pierre (Loeb), fréquentée par Picasso, Balthus ou Lam. André Breton rédige alors la préface du catalogue. 


En 1935 il reprend la route de son pays natal. C’est alors sans compter sur la politique antisémite initiée par les mouvements extrémistes qui sévissent dans le pays. Victor Brauner quittera définitivement la Roumanie en 1938 pour venir s’établir à Paris avant que les évènements de la seconde guerre mondiale ne le poussent de nouveau à l'exil.
En 1938 il rencontre Jacqueline Abraham, qu’il épousera en 1946.


L'exil pendant la guerre et la découverte de la cire

En 1940, au moment où l’armée allemande occupe partiellement la France et où les nazis envahissent Paris, il trouve refuge chez son ami poète Robert Rius près de Perpignan mais c’est à Marseille qu’il veut se rendre. Car c’est sur la Canebière, à la Villa Air-Bel avenue Jean-Lombard qu’ont trouvé refuge les surréalistes et protégés de Peggy Guggenheim. Victor Brauner pourra alors bénéficier de la protection de la richissime collectionneuse en étant logé à la Villa durant l’hiver 1941-1942. 
Cela ne suffira pas et le peintre juif Roumain devra poursuivre son exil, voyant partir ses camarades outre-Atlantique. Il dit au-revoir à Marcel Duchamp, en partance pour New-York sur le quai de Marseille le 15 mai 1942. Le joueur d’échec est établi depuis plusieurs années sur le marché de l’art New-yorkais, jouissant de mécènes et collectionneurs influant tels que Walter Arensberg.  Peggy Guggenheim accompagnée de Max Ernst et Marcel Duchamp tenteront de donner une second souffle à l’esprit surréaliste une fois arrivés à New-York. La riche héritière inaugure sa galerie "Art of this century" le 20 octobre 1942 en commençant par exposer les surréalistes.  Elle y exposera ensuite Jackson Pollock, future star de l'art du 20ème siècle.

(Note : Yves Tanguy et Max Ernst, respectivement amant et mari éphémère (1942-1943) de Peggy Guggenheim, ont été réunis en 2016 pour une exposition au Musée Paul Valéry de Sète)

Puis Victor Brauner se réfugie en Provence grâce à son ami poète René Char. De part la précarité de sa situation, et pour palier au manque de peinture à l'huile, il doit s’adapter et utiliser des matériaux alternatifs comme la cire d'abeille, les bougies ou le bois. C’est à ce moment là qu'il décide d’utiliser la cire comme médium et entame une série de peinture à la cire sur carton.
Ici Homme idéal de 1943, une de ses premières oeuvres à la cire.
Etant réfugié avec sa femme et un ami dans un village des Hautes-Alpes, il met au point une technique tout à fait personnelle et remarquable de dessin à la bougie sur papier en utilisant de l’encre ou du brou de noix. J’aurai le plaisir de détailler cette technique dans un prochain article.


L'après-guerre : les séries à l'encaustique

Sa peinture, puisant sa source dans l’univers onirique cher aux surréalistes, s’en trouve renforcée par l’apport de la cire, élément d’expression igné à forte charge alchimique et ésotérique. Victor Brauner développe alors un ensemble d'oeuvres à l'encaustique où les couleurs vives et les traits se nourrissent d'influences issues des arts premiers.
Ici Le Lion double de 1946 dans la collection d'André Breton.
En 1947, Victor Brauner est exposé à la Galerie Maeght lors de l’Exposition internationale surréaliste. En 1948 il quitte le groupe des surréalistes en réaction à l'exclusion du peintre chilien Roberto Matta.
On peut citer également sa grande oeuvre Prélude à la civilisation de 1954 (année où Jasper Johns réalise Flag) présente dans les collections du MET ou Consciousness of Shock de 1951 dans la Collection Peggy Guggenheim.

Puis en 1954 il est reconnu « réfugié sur place depuis 1938 » avant d’être naturalisé en 1963.
Dans les années 60 il est exposé à la galerie Bodley à New-York et travaille la plupart du temps entre Varengeville en Normandie et le quartier Montmartre à Paris. C'est dans sa maison de Varengeville qu'il réalisera en 1965 sa série Mythologies et la Fête des Mères exposée en 1966, après la mort de l'artiste, à la galerie Alexandre Iolas à Paris. Cet ensemble est aujourd'hui visible au Musée de l'Abbaye Sainte Croix des Sables d'Olonne.

Le Musée de l'Abbaye Sainte-Croix aux Sables d'Olonne (photo de l'auteur)



Oeuvres de Victor Brauner (photos de l'auteur)



La rue Victor Brauner aux Sables d'Olonne (photos de l'auteur)


L'oeuvre de Victor Brauner a dépassé nos frontières et contribué à définir une pratique contemporaine de l'encaustique tout en renforçant des ramifications  entre une présence européenne de ce médium et son développement en Amérique du Nord et dans le monde entier.

Après de nombreuses périodes de maladie, il décède à 62 ans le 12 mars 1966, année où la France le désigne comme son représentant à la Biennale de Venise pour ainsi rendre hommage à l’ensemble de son œuvre. Il est enterré au cimetière de Montmartre à Paris.
Une grande rétrospective de son oeuvre est présentée en 1972 au Musée d'Art moderne de la ville de Paris.

Les dernières expositions de l'oeuvre de Victor Brauner ont eu lieu en 2009 au Musée des Beaux Arts de Brest, en 2007 au Musée des Beaux Arts de Chambery et en 1996 au Centre Pompidou à Paris.
Une rétrospective de son oeuvre a eu lieu en 2020-2021 au Musée d'Art Moderne de Paris.(mise à jour novembre 2021)

Enfin, chaque artiste ne devrait-il pas faire sienne cette phrase épitaphe de Victor Brauner :
« peindre c’est la vie, la vraie vie, ma vie » 



Sources Internet

Victor Brauner (OFPRA)

Victor Brauner, itinéraire d'un peintre juif sous l'Occupation

Victor Brauner, Wikipédia (Fr)

Victor Brauner, Wikipédia (En)

Musée de l'Abbaye Sainte-Croix des Sables d'Olonne


A lire sur Peggy Gugenheim et Marcel Duchamp 

CHALMET, Véronique : Peggy Guggenheim "un fantasme d'éternité", Editions Payot & Rivages, Paris, 2013

MINK, Janis : Marcel Duchamp "l’art contre l’art", Taschen, Cologne, 2005.


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Cet article, ainsi que l'ensemble de ce blog, est le fruit d'un travail personnel de recherche documentaire que j'offre ici gratuitement. Si vous appréciez mon travail vous pouvez marquer votre soutien en faisant un don, même pour une petite somme, sur ce lien PayPal.
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Vincent Delrue.
 


mercredi 21 septembre 2016

Porte ouverte à l'atelier



A l'occasion des Portes Ouvertes des Ateliers d'Artistes j'ouvre la porte de mon atelier et ceci pour la dixième année consécutive. C'est toujours un plaisir de préparer cet évènement et d'accueillir les amis, amateurs d'art ou simple curieux dans mon modeste atelier. 
Cette année sera l'occasion de présenter pour la première fois mes dernières oeuvres à l'encaustique. J'en dévoile quelques unes sur ma page Facebook.
Mon atelier sera ouvert les samedi 1er et dimanche 2 octobre.
Soyez les bienvenus !
Toutes les informations concernant la manifestation sont disponibles sur ma fiche artiste et dans le magazine SORTIR.

Merci de votre visite,



samedi 2 juillet 2016

En direct de l'atelier

Voici une vidéo réalisée à mon atelier décrivant ma technique de peinture à la cire pigmentée ou encaustique.
Tout est fait maison : le support en bois (ici un format de 40x40 cm), la cire pigmentée et la bande son.



Bonne visite !

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Site Internet

dimanche 1 mai 2016

Les cires

Blocs de cire pigmentée, composition libre à l'atelier

Il n'y a pas une cire mais des cires. Même si la pratique de l'encaustique se fait principalement avec la cire d'abeille (naturelle ou blanchie) voici d'autres cires dont certaines pourront être ajoutées à la cire d'abeille, la résine dammar et les pigments dans la préparation de la peinture encaustique. La résine dammar fera l'objet d'un prochain article. A chaque artiste d'effectuer des tests et de déterminer les proportions adéquates en fonction du résultat désiré.

Les cires minérales : paraffine et microcristalline

Elle sont obtenues par distillation du pétrole brut. De là sont issues la paraffine et la cire microcristalline.

La paraffine, utilisée notamment pour la fabrication des bougies, a un point de fusion situé entre 50° et 70°C. Elle possède une structure macrocristalline, rigide et cassante.

Bloc de paraffine

Elle peut être ajoutée à la cire d'abeille dans la préparation de la peinture encaustique mais dans des proportions inférieures à 1/2.
J'ai testé l'utilisation exclusive de la paraffine dans une préparation de peinture encaustique. Voici ce que cela donne sur le support (ici un carton entoilé):



Une fois décollée du support on peut remarquer la structure cassante de la paraffine.

Si on utilise la paraffine dans la peinture encaustique il vaut mieux le faire sur de petits formats.

La cire microcristalline, a une structure plus souple que la paraffine et peut remplacer la cire d'abeille. Son point de fusion est situé entre 60° et 100°C. Elle peut être utilisée soit en addition avec la paraffine seule soit en association avec la cire d'abeille et la paraffine. Là encore il faut tester les bonnes proportions.


 Morceaux de cire microcristalline

Certains artistes utilisent exclusivement un certain type de cire. C'est le cas de l'artiste canadien Tony Scherman , célèbre pour ses portraits, qui utilise la cire microcristalline dans son travail.

Tony Scherman, portrait d'Elvis : Aloha Hawaii III, 2001-2002, encaustique sur toile


Les cires végétales : Carnauba, Jojoba et Candelilla

Ces cires sont tirées des parties aériennes de certains végétaux : tiges, feuilles ou fruits.

La cire de Carnauba provient des feuilles d'un palmier du nord-est du Brésil. Cette cire est extrêmement dure et cassante et son point de fusion est compris entre 80° et 86°C.
Elle est utilisée en tournage sur bois pour polir et donner de la brillance au bois. Elle rentre aussi dans la composition de produits de lustrage pour carrosserie auto-moto en donnant une brillance type "effet miroir". 

Morceaux de cire de Carnauba


Ici un pain de cire à la cire de carnauba et à la cire d'abeille pour le tournage sur bois

La cire de carnauba est également utilisée en association avec la cire d'abeille dans des domaines aussi divers que les cirages pour chaussures, les cosmétiques (rouge à lèvres, mascara) ou l'industrie alimentaire (agent d'enrobage E903 pour les chewing-gums).

Si vous avez testé un mélange de cire d'abeille et de cire de Carnauba dans votre encaustique écrivez moi !

La cire de Jojoba provient d'un arbuste originaire du nord-ouest du Mexique et du sud-est des Etats-Unis. Elle est liquide à température ambiante à l'aspect huileux et visqueux (appelée improprement huile de Jojoba). Utilisée en cosmétique dans les savons, shampoings et crèmes pour la peau, elle remplace le blanc de baleine ou spermaceti (qui est une cire d'origine animale) depuis l'interdiction de la chasse à la baleine.

La cire de Candelilla est obtenue à partir des tiges d'un arbuste du Mexique et du Texas. Sa structure est dure et cassante (mais moins dure que la cire de Carnauba) et son point de fusion est situé entre 68° et 73°C. Elle est associée à la cire d'abeille, la cire de Carnauba ou la cire de Jojoba dans la fabrication de nombreux produits comme les rouges à lèvres ou comme additif alimentaire (E902).

Morceaux de cire de Candelilla



Pour terminer quelques mots sur la cire d'abeille ! (qui est une cire d'origine animale comme le spermaceti):
Celle-ci a un point de fusion entre 62° et 64°C (ceci a son importance lors du mélange avec la résine dammar qui a un point de fusion plus élevé de 104° à 120°C).
Elle se présente sous forme de bloc, granules ou microbilles. Les formes plus petites (granules et microbilles) seront bien sûr plus appropriées à la préparation de l'encaustique car elle fondent plus rapidement.
Il est important de rappeler ici les conditions de sécurité et de ventilation du local (ou de votre atelier) dans lequel vous travaillez car l'encaustique impose une source de chaleur et la cire fondue sous forme liquide peut bien sûr provoquer des brûlures profondes de l'épiderme ! Voici quelques conseils de sécurité.
D'autre part si la cire est trop chauffée elle dégage des composés volatils qui ne sont pas très agréables à respirer. Il m'est arrivé d'avoir des maux de tête en fin de journée à cause d'un atelier mal ventilé et surtout parce que au départ on a tendance à surchauffer la cire dans la préparation de son encaustique. Donc prudence, patience et maîtrise du matériaux sont les maîtres mots à garder à l'esprit lorsqu'on se met à l'encaustique.
Vous trouverez sur le site de Louise Noël une partie détaillée sur la cire d'abeille.

Enfin, outre l'encaustique qui nous intéresse ici, l'utilisation des cires est fréquente dans de nombreux domaines : la sculpture, la bijouterie ou l'art dentaire avec la technique de fonte à cire perdue, ou encore l'impression sur tissus avec la technique du batik. Concernant l'histoire de la médecine on peut noter les magnifiques cires anatomiques du XVIIIème siècle du Musée de La Specola à Florence.

Prothèse dentaire : ici maquette en cire, ou wax-up, avant coulée d'une couronne.


Gaetano Giulio Zumbo, Tête anatomique, fin XVIIème, cire

La cire pigmentée est également présente dans les imprimantes à sublimation où la cire passe directement de l'état solide à l'état gazeux.

Merci de votre lecture,

C'est le 1er anniversaire de ce blog,
Si le sujet vous plaît, n'hésitez pas à me contacter et partagez ;-)

Bons tests à tous.

Retrouvez mes dernières oeuvres sur mon site Internet et mon actualité sur ma page Facebook.


Sources Internet







dimanche 3 avril 2016

Echanges

A l'occasion des Journées européennes des métiers d'art ayant pour thème "L'empreinte du geste" je suis allé à la rencontre d'autres professionnels du monde de l'Art. Ces rencontres étaient motivées par mon besoin d'informations et d'échanges à propos de  matériaux et de techniques communes avec la pratique de l'encaustique : le travail avec la chaleur, ou le feu, et l'utilisation de matériaux comme la cire d'abeille et les résines. 
Concernant le travail avec le feu j'ai découvert le métier et les créations de Brïdge Souffle de Verre. Une démonstration en direct m'a permis d'apprécier les différentes teintes de la flamme, du rose au rouge-orangé d'un "soleil couchant". 
J'ai également rendu visite à l'atelier de restauration de tableaux de Vannick Beaume. Nous avons échangé sur l'utilisation de matériaux et de produits communs comme la cire d'abeille et la résine dammar (la cire-résine utilisée par la restauratrice) entre autres.
Ces deux rencontres ont été un moment unique de partage d'expériences, non seulement sur des détails techniques ou les matériaux utilisés mais aussi sur des problématiques d'ordre professionnel communes aux métiers d'art et au métier d'artiste.
Rien de tel que la rencontre humaine pour enrichir ses connaissances.

vendredi 11 mars 2016

Johns, l'homme qui voulait devenir artiste.

1955 est une année charnière pour Yves Klein qui réalise sa transition entre le judo et la peinture. Au mois de juin il soumet au jury d'admission du Salon des Réalités Nouvelles un monochrome intitulé Expression de l'Univers de la Couleur Mine Orange. Son oeuvre est refusée. Il a 27 ans et il lui reste 7 années pour laisser son empreinte dans l'histoire de l'art.

La même année aux Etats-Unis un jeune peintre de 25 ans semble sortir de "nulle-part" avec son premier tableau-drapeau Flag réalisé à l'encaustique. Il s'agit de Jasper Johns. Suivront ensuite les White Flag et Green Target également à l'encaustique. Ces trois tableaux sont exposés aujourd'hui au MoMA à New-York.


Flag, 1954-1955, encaustique, huile et collage sur tissu, monté sur contreplaqué (trois parties), 107,3 x 153,8 cm, MoMA, New-York

Jasper Johns est né en 1930 à Augusta en Géorgie et après le divorce de ses parents, en 1932-1933, il vit un premier temps à Allendale en Caroline du Sud chez son grand-père paternel. Dès l'âge de cinq ans, il désirait devenir un artiste.
Il commence l'étude des beaux-arts à l'université de Caroline du Sud en 1947 puis les poursuit à New-York à la Parsons School of Design en 1948 mais il doit interrompre ses études faute de moyens. Il est ensuite mobilisé en 1951 et part 6 mois au Japon lors de la Guerre de Corée. Il n'est pas sur le front et travaille pour la conception d'affiches de films militaires et de campagnes pédagogiques. 

De retour à New-York en 1953 il travaille dans la librairie d’art Marboro Books et l’écrivain Suzi Gablik lui présente Robert Rauschenberg, de cinq ans son aîné et qui est déjà un artiste reconnu. Cette rencontre est déterminante pour lui sur le plan personnel et professionnel. Il décide de cesser de “devenir” artiste pour “être” artiste et détruit un grand nombre de ses premières œuvres. Rauschenberg lui conseille de quitter son emploi de libraire pour venir travailler avec lui comme décorateur de vitrines de boutiques de luxe. Les deux hommes entament alors une communauté de vie et un parcours commun en tant qu’artistes.
Johns fait également connaissance à cette époque des compositeurs Morton Feldman et John Cage  (avec qui il fondera la Foundation for Contemporary Performance Arts en 1963) et du danseur et chorégraphe Merce Cunningham alors que Rauschenberg réalise des décors de scènes et des costumes pour les productions de ces derniers. Plus tard il rencontre Marcel Duchamp, dont les ready-made lui inspireront la transformation d’objets courants tels que des lampes de poche ou des ampoules dans Flashlight et Lightbulb de 1958. 

En 1959 après le succès de sa première exposition chez Leo Castelli, où tous ses tableaux sont vendus, Jasper Johns est à 29 ans la nouvelle étoile montante du monde de l’art.
A partir de là l’œuvre de Jasper Johns ne cesse d’évoluer : peintures à l’huile, collages, sculptures, assemblage d’objets, utilisation d'encre de chine, œuvres gigantesques tel Map (500x1000 cm)  de 1967-1970 en 22 parties (exposé au Ludwig Museum à Cologne).

Johns multiplie dans sa peinture les références autobiographiques, à ses propres œuvres et à l’histoire de l’art : La Joconde (1503-1519) de Léonard de Vinci apparaît ainsi dans Racing Thoughts de 1983 ou Summer de 1985.


 Summer, 1985, encaustique sur toile, 190,5x127 cm, MoMA, New-York

Summer et d'une manière générale le cycle The Seasons (1985-1986) de Johns est marqué par la présence de Pablo Picasso (Minotaure à la carriole, 1936 ou L'Ombre, 1953)


Il y a d’autres références manifestes à Hans Holbein ou Barnett Newman et d’autres plus discrètes, moins identifiables au premier regard comme le Retable d’Issenheim (vers 1512-1516) de Matthias Grünewald qui est une source importante d’inspiration dans l’œuvre de Johns dans les années 80. Jasper Johns est frappé par ce retable qui est « très impressionnant… Il a une qualité qui est glamour, comme une espèce de film » (p. 183, CRAFT Catherine : Jasper Johns, voir bibliographie ). En 1976, alors en voyage à Bâle, il se rend au Musée Unterlinden de Colmar en Alsace et découvre le retable. Il y retournera en 1979 et commence à travailler à partir d’un ensemble de reproductions en noir et blanc en reprenant les contours et les détails, par l’utilisation de calques, de ce polyptique du XVIème siècle. Ceci peut être observé dans Perilous Night de 1982 ou Untitled de 1984.



 Le Retable d’Issenheim, vers 1512-1516, Musée Unterlinden, Colmar


Jasper Johns continue d’explorer la peinture encore aujourd’hui marquant l’histoire de l’art avec comme point de départ l’utilisation d’un médium innovant, l’encaustique, pour détourner le réel, l’imprégner à son tour et changer notre regard.

« Pour être un artiste vous devez tout abandonner, y compris le désir d’être un bon artiste » déclare-t-il en 2008 (voir sources Internet).


Jasper Johns et l’encaustique

Johns indique qu’il a commencé a utiliser l’encaustique alors qu’il cherchait un moyen qui sèche rapidement et lui permettant d’appliquer une couche de peinture sans altérer la première. Autre propriété importante pour Johns : la cire lui permet de conserver le caractère de chaque trait de pinceau.

Voici quelques éléments concernant sa technique que j’ai pu traduire à partir d’une interview faîte par Joanne Mattera (voir bibliographie, l’intégralité de l’entretien se trouve dans son livre p. 21-23):

Sa technique reste simple : il fabrique ses propres couleurs avec un mélange de cire d’abeille, de résine dammar et d’huile de lin en ayant l’habitude d’ajouter de la peinture à l’huile qu’il a remplacé à certains moments par des pigments. 
Puis pour chauffer son encaustique il utilise une casserole sur une plaque chauffante et pour fusionner les couches de cire il emploie une méthode plus personnelle : une plaque chauffante sur un bâton mais il indique que cette technique apporte trop de chaleur. 
Note : Kristen Gallagher ( voir Sources Internet) indique dans sa publication que Johns après avoir « expérimenté différentes façons de peindre... accrocha sa plaque chauffante à un bâton afin de pouvoir la déplacer facilement sans être brulé ».
Enfin pour travailler sa surface il utilise un fer à repasser et un pistolet à chaleur (traduit également par décapeur thermique). Il travaille généralement debout au pinceau sur de la toile tendue, très rarement au couteau (en début de carrière il pouvait travailler au sol pour effectuer ses collages).
Ses tableaux sont encadrés pour protéger les côtés.


Epilogue 

Jasper Johns et Yves Klein se sont rencontrés grâce à Leo Castelli lors du voyage de Yves et Rotraut à New-York en mars 1961. Ils sont invités par Castelli pour la première exposition personnelle d’ « Yves le Monochrome » au Etats-Unis et logent à l’hôtel Chelsea où Yves Klein rédigera une nuit d’avril 1961 son célèbre Chelsea Hotel Manifesto. Lors de ce séjour ils visitent alors l’atelier de Rauschenberg et de Johns et rencontrent de nombreux artistes.
Puis Johns et Klein se rencontrent à nouveau en Europe lors du vernissage de l’exposition à Paris de Niki de Saint-Phalle « Feu à volonté » en juin 1961. Ils participent également avec d’autres artistes à l’exposition « Le Nouveau Réalisme à Paris et à New-York » à la galerie Rive Droite en juillet 1961. Une Peinture de feu F 90 de Yves Klein est exposée à cette occasion.


Jasper Johns et Yves Klein au vernissage de l'exposition de Niki de Saint-Phalle en juin 1961 (source : archives Yves Klein)

 
Le 6 juin 1962 Yves Klein meurt chez lui à Paris, 14 rue Campagne-Première, d’une crise cardiaque. Il a 34 ans.

L’étoile de Johns brille toujours et le « feu au cœur du Vide » de Klein continue de brûler dans l'univers après avoir illuminé notre planète Bleue.



Sources Internet 

Bibliographie

CHARLET, Nicolas : Les écrits d'Yves Klein, Luna-Park Transédition, Paris, 2005, p.66, p.206.

CRAFT, Catherine : Jasper Johns, Parkstone International, New-York, 2009.

HESS, Barbara : Jasper Johns « L’activité de l’œil », Taschen, Cologne, 2007.

KLEIN-MOQUAY Rotraut, PINCUS-WITTEN Robert : Yves Klein USA, Editions Dilecta, Paris, 2009.

MATTERA, Joanne : The Art of Encaustic Painting, Watson Guptill Publications, New-York, 2001.



Cet article, ainsi que l'ensemble de ce blog, est le fruit d'un travail personnel de recherche documentaire que j'offre ici gratuitement. Si vous appréciez mon travail vous pouvez marquer votre soutien en faisant un don, même pour une petite somme, sur ce lien PayPal.
D'avance un grand merci à vous.
 
Vincent Delrue.